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Photo du rédacteurMichel Orsini

L’applicabilité de la clause de la Nation la Plus Favorisée au choix du forum arbitrale

A l’origine, le débat autour du champ d’application de la clause NPF concernait principalement la question de savoir si une telle clause pouvait voir son champ d’application étendu à des questions procédurales, en sus des questions substantielles ou de fond qu’elle avait vocation à régir.[1] Généralement les questions procédurales portaient sur la possibilité :

  • d’élargir la portée juridictionnelle du traité lorsque celui-ci circonscrit l’applicabilité de la clause de règlement des différends à une catégorie déterminée de différends (tels ceux relatifs à l’indemnisation en cas d’expropriation) ;

  • d’écarter l’applicabilité d’une disposition portant obligation de soumettre un différend à une juridiction interne pendant une période d’attente de quelques mois avant de le soumettre à l’arbitrage international ;

  • ou encore la possibilité d’invoquer une procédure de règlement des différends non prévue dans le traité de base, qui retiendra ici notre attention.


Si la question du recours aux clauses NPF pour ouvrir accès aux questions de procédure est souvent énoncée comme provenant de l’affaire Maffezini c. Le Royaume d’Espagne, son origine est cependant plus ancienne, le tribunal de Maffezini ayant relayé les conclusions de la décision rendue par la Commission d’arbitrage dans l’affaire Ambatielos.[2]


En l’espèce, le gouvernement grec se fondait sur la clause NPF et la clause de Traitement National du Traité de Commerce et de Navigation conclu par la Grèce et le Royaume-Uni en 1886 et sur une Déclaration annexée au Traité de Commerce et de Navigation de 1926 pour contester un déni de justice subi par Ambatielos, armateur grec, dans un litige qu’il avait porté devant les tribunaux anglais.


La Cour internationale de Justice se considéra compétente pour décider si le Royaume-Uni était dans l’obligation de soumettre à l’arbitrage le différend relatif à la validité de la demande formulée par Ambatielos dans la mesure où elle se trouvait fondée sur le Traité de 1886, et rejeta sa compétence au fond. L’affaire fut ensuite soumise à une Commission d’arbitrage qui rejeta finalement la demande au motif que les dispositions contenues dans d’autres traités invoqués par le Gouvernement grec prévoyaient des « faveurs, privilèges ou immunités » qui n’étaient pas plus favorables que ceux résultant de la clause de Traitement National. La Commission d’arbitrage considéra que les clauses NPF ne pouvaient s’appliquer qu’à des questions relevant du même objet ou de la même catégorie d’objets que ceux auxquels elles se rapportent dans les termes suivants :


"The most-favoured-nation clause can only attract matters belonging to the same category of subject as that to which the clause itself relates."[3]


La question du déni de justice entrant dans la catégorie des droits procéduraux, la question était ici de savoir si elle pouvait être couverte par la clause NPF.


Au vu de la rédaction de la clause NPF qui indiquait expressément couvrir « toutes matières relatives au commerce et à la navigation », la Commission d’arbitrage considéra que la protection des droits contenue dans le Traité, même de nature procédurale, faisait nécessairement partie intégrante du champ d’application de la clause NPF dans les termes suivants :


It is true that the administration of justice”, when viewed in isolation is a subject-matter other than “commerce and navigation”, but this is not necessarily so when it is viewed in connection with the protection of the rights of traders. Protection of the rights of traders naturally finds a place among the matters dealt with by Treaties of commerce and navigation. ... Therefore it cannot be said the administration of justice, in so far as it is concerned with the protection of these rights, must necessarily be excluded from the application of the mostfavoured-nation clause, when the latter includes “all matters relating to commerce and navigation.[4]


Dans l’affaire Maffezini, le tribunal a repris la solution d’Ambatielos et a estimé qu’en l’espèce le traitement NPF pouvait être étendu aux dispositions procédurales, mais sous réserve de certaines considérations de « politique publique », dans les termes suivants :

Il y a de bonnes raisons de conclure que les arrangements de règlement des différends sont aujourd’hui inextricablement liés à la protection des investisseurs étrangers, tout comme ils sont aussi liés à la protection des droits des commerçants en vertu des traités de commerce.[5]


Plusieurs sentences retentissantes sont venues réaffirmer ou infirmer cette solution depuis, posant de nouvelles questions concernant l’applicabilité de la clause NPF à la procédure arbitrale et plus particulièrement au consentement au forum. Pour mieux comprendre les enjeux engendrés par ces questions, il convient à présent d’examiner les critiques formulées contre l’applicabilité de la clause NPF à la procédure arbitrale (A), puis l’applicabilité de principe de la clause NPF à la procédure arbitrale (B).


A. Une applicabilité critiquée de la clause de la Nation la Plus Favorisée à la procédure arbitrale


(i) La distinction entre droits de procédure et droits substantiels


Au sein d’un traité de protection des investissement il existe deux types de règles : les règles substantielles ou de fond d’une part, et les règles de procédure d’autre part. Les dispositions de fond concernent principalement les règles de base négociées entre les Etats parties et régissant la façon dont ils interagissent, se comportent et protègent les investissements étrangers (par exemple le traitement juste et équitable, l’indemnisation en cas d’expropriation, etc.). Les règles de procédure – telle la clause de règlement des différends Etat-investisseur – sont celles qui, comme leur nom l’indique, régissent la procédure en elle-même, le forum devant lequel l’affaire sera traitée, comment seront traitées les questions de recevabilité ou de compétence, etc.


La procédure arbitrale à laquelle les parties au traité de protection des investissements étrangers consentent est généralement précisée dans la clause dite de règlement des différends entre Etat et investisseur au sein du traité. Il est admis que cette clause, en ce qu’elle ne prévoit que le déroulement de la procédure – et ce, le plus souvent de manière sommaire en se référant à un ou plusieurs forum alternatifs et aux règles de procédures de ce ou ces forums – constitue des droits de nature procédurale au profit des investisseurs bénéficiant de la protection du traité contenant une telle clause.


Si l’applicabilité même de la clause NPF aux droits substantiels des investisseurs ne pose pas particulièrement débat – au stade de la détermination de son champ d’application strict –, de nombreuses questions peuvent – et furent – soulevées quant à l’applicabilité de la clause NPF aux droits procéduraux des investisseurs.


Le Professeur Schreuer évoque très clairement cette discussion de l’applicabilité de la clause NPF aux dispositions de règlement des différends dans les termes suivants :


This has led to the question of whether the effect of MFN clauses extends to the provisions on dispute settlement in these treaties.[6]


Il est utile de rappeler à titre préliminaire que, dans l’affaire Maffezini, le tribunal concluait que les dispositions en matière de règlement des différends font, par principe, partie intégrante de la protection des investisseurs et des investissements accordée en vertu des accords bilatéraux d’investissement. De ce fait et par définition, ces dispositions se trouvaient pratiquement toujours incorporables à un accord d’investissement en vertu d’une clause NPF.[7]


De même, dans l’affaire Siemens c. Argentine, le tribunal a considéré également que la clause de règlement des différends faisait partie intégrante de la protection offerte par le traité bilatéral d’investissement.


Dans l’affaire Plama Consortium Limited c. Bulgarie, le tribunal a considéré que les parties à un traité bilatéral d’investissement peuvent être présumées avoir exclu le mécanisme de règlement des différends du champ d’application de la clause NPF. Une telle conclusion reposait essentiellement, au sens du tribunal arbitral, dans la distinction qu’il a établie entre les dispositions prévoyant des droits substantifs et celles prévoyant des droits procéduraux, comme suit :


This matter can also be viewed as forming part of the nowadays generally accepted principle of the separability (autonomy) of the arbitration clause. Dispute resolution provisions constitute an agreement on their own, usually with interrelated provisions.[8]

Il est indéniable que la distinction opérée en droit international entre droits substantifs touchant au fond de l’affaire et droits purement procéduraux joue un rôle non négligeable dans le raisonnement des tribunaux lorsqu’ils se trouvent confrontés à une clause NPF, même si le caractère fondamental de cette distinction dans la détermination du champ d’application de la clause NPF a pu être remis en cause.


En outre, dans l’affaire Telenor c. Hongrie, la clause du traité bilatéral d’investissement conclu par la Hongrie et la Norvège qui contenait le consentement à l’arbitrage de l’Etat hongrois se limitait à la compensation des expropriations. Pour bénéficier des dispositions relatives à la résolution des différends d’acception plus large de traités conclus par la Hongrie avec d’autres Etats, le requérant, souhaitant importer cette disposition, a invoqué la clause NPF du traité qui lui était applicable.


Reprenant la solution retenue par le tribunal de Plama, le tribunal de Telenor c. Hongrie[9] a conclu que le terme « traitement » contenu dans la clause NPF ne pouvait viser que les droits substantifs et non pas les droits procéduraux, le contraire risquant de conduire à des dérives, notamment des pratiques de « treaty-shopping » de la part des investisseurs.


(ii) Les risques de « treaty-shopping »


Pour les arbitres, la principale problématique réside, en pratique, dans la recherche objective d’un savant équilibre entre l’octroi d’une extension légitime des droits des investisseurs – et ce, jusqu’aux droits procéduraux – et les risques d’une extension illimitée de ces droits, qui, au travers de la pratique du « treaty-shopping » des traités de protection bilatéraux, pourrait causer des tords préoccupants au système d’arbitrage d’investissement tel qu’il est encore construit de nos jours.


En effet, les tribunaux arbitraux ne pouvaient ignorer les critiques doctrinales virulentes qui furent formulées contre les risques de « treaty-shopping », et qui furent initialement dégagées dans le contexte des clauses NPF et de leur possible application aux clauses de règlement des différends.[10]


La crainte exprimée tenait au fait que les investisseurs pourraient avoir recours à une clause NPF pour obtenir la compétence d’un tribunal qui, ab initio, leur aurait été niée en l’absence d’un consentement de l’Etat dans le traité applicable.


Une telle préoccupation avait été exposée dès l’affaire Maffezini c. Espagne, le tribunal arbitral ayant conclu qu’une distinction devait nécessairement être établie entre l’extension légitime des droits et avantages au moyen de l’application de la clause et le « treaty-shopping » qui attenterait aux objectifs de politique publique du traité.[11]


Par la suite, le tribunal arbitral constitué dans l’affaire Plama Consortium Limited c. Bulgarie fit très clairement écho à cette préoccupation concernant la clause NPF. Si le tribunal s’est rallié aux observations émises par le tribunal dans l’affaire Maffezini, il s’en écarte cependant.

En effet, le tribunal exclut qu’une disposition NPF dans un traité puisse incorporer des clauses de règlement des différends elles-mêmes incluses dans d’autres traités, en tout ou en partie, à moins que la clause NPF du traité de base ne laisse aucun doute quant à l’intention communes des Etats parties à ce traité, dans les termes suivants :


The present Tribunal agrees with that observation [in Maffezini], albeit that the principle with multiple exceptions as stated by the tribunal in the Maffezini case should instead be a different principle with one, single exception: an MFN provision in a basic treaty does not incorporate by reference dispute settlement provisions in whole or in part set forth in another treaty, unless the MFN provision in the basic treaty leaves no doubt that the Contracting Parties intended to incorporate them.[12]


Par ailleurs, le tribunal dans l’affaire Salini c. Jordanie craignait que les précautions prises par les arbitres de Maffezini soient difficiles à appliquer. En effet dans cette affaire un investisseur italien souhaitait soulever des demandes contractuelles sur le fondement du traité bilatéral conclu entre l’Italie et la Jordanie. Cependant ce dernier ne prévoyait l’arbitrage sous l’égide du CIRDI que dans les cas de violations du traité et non pour des litiges contractuels privés.


Le requérant a donc tenté de présenter ses demandes devant le CIRDI sur le fondement du traité bilatéral conclu entre les Etats-Unis et la Jordanie, qui permettait aux parties de présenter des différends contractuels devant un tribunal CIRDI. Le tribunal, après avoir examiné le traité dans son ensemble et conclu à son incompétence, a admis partager les préoccupations d’autres tribunaux arbitraux concernant la solution adoptée dans l’affaire Maffezini, et a dénoncé sans ambages les risques de « treaty-shopping ».[13]


Si l’on peut appliquer une clause NPF aux droits relatifs à la procédure arbitrale elle-même, il reste nécessaire de remplir certaines conditions, tel le caractère objectivement plus favorable d’une procédure ou d’un panel plutôt qu’un autre, ce qui ne sera pas une mince affaire dans cette matière particulière.


De surcroit, certains tribunaux arbitraux ont évoqué et appliqué des limites à l’importation des clauses NPF au travers de l’intention des Etats-parties au traité comme nous le verrons par la suite.

B. Une clause applicable en principe à la procédure arbitrale


En l’absence d’exception implicite ou explicite à l’application d’une clause NPF, il faudrait en principe considérer qu’ « aucun avantage acquis par les tiers en vertu de conventions internationales ne saurait échapper à l’effet de la clause de la nation la plus favorisée »[14].


Avec l’affaire Plama Consortium Limited c. Bulgarie l’intention des parties vient rééquilibrer le pouvoir de l’interprétation donnée par les tribunaux sur les clauses NPF. Cette affaire constitue en effet une incontestable « réaffirmation du contrôle sur les clauses NPF dans le cadre du règlement des différends »[15].


Les arbitres qui ont décidé de refuser l’application de la clause NPF aux dispositions relatives au règlement des différends contenue dans un autre traité, ont cependant exprimé la possibilité d’appliquer ce type de clause dans un autre contexte.


En l’espèce, le tribunal s’est fondé sur la formulation de la clause en invoquant qu’en l’absence d’expression claire et sans ambiguïté de la volonté des Etats parties d’importer des droits d’ordre procédural, il ne pouvait que rejeter l’application de la clause NPF aux clauses de règlement des différends, dans les termes suivants :


Rather, the intention to incorporate dispute settlement provisions must be clearly and unambiguously expressed. This is, for example, the case with the UK Model BIT, which provides in its Article 3(3):

For avoidance of doubt it is confirmed that the treatment provided for in paragraphs (1) and (2) above shall apply to the provisions of Articles 1 to 11 of this Agreement.

Articles 8 and 9 of the UK Model BIT provide for dispute settlement. The drafters of the UK Model BIT rightly noted that there could be doubt and expressly neutralized that doubt.[16]

Le tribunal de Plama c. Bulgarie remplaça finalement les exceptions de politique publique établies par le tribunal dans Maffezini, qui ne furent pas appliquées par la suite par les tribunaux arbitraux face à des questions similaires, par la seule et unique exception de l’expression du consentement des Etatsparties au traité de base, dans les termes suivants :


The present Tribunal agrees with that observation, albeit that the principle with multiple exceptions as stated by the tribunal in the Maffezini case should instead be a different principle with one, single exception: an MFN provision in a basic treaty does not incorporate by reference dispute settlement provisions in whole or in part set forth in another treaty, unless the MFN provision in the basic treaty leaves no doubt that the Contracting Parties intended to incorporate them.[17]


On peut ici faire un rapprochement utile avec la sentence Garanti Koza précitée, dans laquelle le tribunal arbitral s’était également prononcé sur la clause NPF du modèle de traité bilatéral d’investissement du Royaume-Uni mais en aboutissant à une solution opposée. En effet, le tribunal arbitral accepte l’argument de l’investisseur et lui permet d’invoquer, sur le fondement de la clause NPF du traité, le consentement à l’arbitrage du CIRDI exprimé par l’État défendeur dans un traité d’investissement conclu avec un Etat tiers.


L’intention des parties au traité, exprimée dans la clause NPF, est que les investisseurs étrangers auront le droit de se prévaloir des droits découlant d’un traité conclu avec un Etat tiers, dès lors qu’ils leur sont plus favorables, et ce même si ces droits sont clairement absents du traité qui leur est applicable. L’affaire Plama c. Bulgarie exprime très clairement cette volonté de replacer l’intention des parties au centre de l’interprétation des clauses NPF et de leur champ d’application. Il est probable que les tribunaux suivront cette approche prudente vis-à-vis des Etats, plutôt que de suivre le mouvement critiqué des interprétations à l’infini de cette clause.


Mais cela ne vient pas sans risques, alors que faire face à une clause NPF rédigée de manière particulièrement « large » qui serait invoquée pour importer une clause de règlement des différends contenue dans un autre traité ?


Dans l’affaire Salini, le tribunal a considéré qu’une clause NPF ne pouvait être invoquée dans ce contexte que si les Etats parties au traité de base avaient prévu expressément que la clause s’étendrait aux dispositions de règlement des différends, ou si la clause NPF est rédigée avec des termes de sens large, en visant par exemple « toutes matières sujettes à cet accord » au titre du champ d’application de la clause.


Critiquant le raisonnement suivi dans les affaires Telenor c. Hongrie et Plama c. Bulgarie, le Professeur Schreuer explique qu’à son sens, il serait erroné de tirer des conclusions de la simple distinction entre les droits procéduraux et le droits substantiels, ou encore d’une rédaction peu précise de la clause NPF. Certains traités bilatéraux de protection des investissements spécifient si une clause NPF s’applique au règlement des différends ou si son application est exclue, mais en l’absence d’une telle précision, il est difficile de comprendre pourquoi une clause NPF largement formulée ne devrait s’appliquer qu’aux questions de fond, mais pas aux questions de règlement des différends.


L’argument que le traité de base, contenant la clause NPF, limite ou exclut clairement la compétence du tribunal et que cela ressortait de l’intention des parties à cet égard n’est pas convaincant.[18]


En effet, le Professeur Schreuer préconise, plutôt que de réfuter l’inclusion des clauses NPF du fait de l’absence de mention de son applicabilité aux clauses de règlement des différends, d’étudier et interpréter au cas par cas ce type de clause et les mots usités. Il est vrai que les clauses NPF présentent généralement une formulation large, sans préciser leur application ou non aux droits procéduraux.


Dès lors, conclure que l’intention des parties est clairement de ne pas inclure les dispositions relatives au règlement des différends du seul fait de l’absence d’une telle mention dans la clause NPF semble quelque peu hasardeux.


Pour certains, la clause NPF constitue une règle de fond qui confère à son titulaire des droits qui s’ajoutent aux droits consacrés par le traité initial, dès lors qu’ils sont objectivement plus favorables. Elle ne devrait pas pouvoir être écartée si légèrement du seul fait de l’interprétation équivoque qui lui serait donnée par les tribunaux arbitraux. Pour d’autres, au contraire, il est permis d’espérer que l’approche qui fut adoptée par les tribunaux CIRDI dans les affaires Salini et Plama sera suivie par les tribunaux dans les futurs arbitrages d’investissement.

III. L’importation du consentement au centre d’arbitrage par une clause de la Nation la Plus Favorisée

A. La séparabilité des consentements à l’arbitrage et au forum d’arbitrage

Tout d’abord une question de « timing » peut se poser, comme l’explique Laurence Boisson de Chazournes dans son opinion dissidente dans l’affaire Garanti Koza LLP c. turkmenistan[19] :


"pour qu’un tribunal puisse se prononcer sur le consentement à l’arbitrage importé, ne faut-il pas qu’il se déclare d’abord compétent ?"


C’est également une critique formulée par le tribunal dans l’affaire Daimler c. Argentine, dans les termes suivants :


"Taken together, these two conclusions suggest that a claimant wishing to raise an MFN claim under the German-Argentine BIT – whether on procedural or substantive grounds – lacks standing to do so until it has fulfilled the domestic courts proviso. To put it more concretely, since the Claimant has not yet satisfied the necessary condition precedent to Argentina’s consent to international arbitration, its MFN arguments are not yet properly before the Tribunal. The Tribunal is therefore presently without jurisdiction to rule on any MFN-based claims unless the MFN clauses themselves supply the Tribunal with the necessary jurisdiction."[20]


Si les critiques sont si virulentes vis-à-vis de l’application des clauses NPF aux dispositions de règlement des différends, c’est notamment du fait que cette règle de compétence préalable ne pose pas problème sauf dans le cas où c’est la clause NPF elle-même qui donne compétence au tribunal.


Finalement les tribunaux arbitraux qui eurent à se prononces sur les clauses NPF furent bien plus mesurés. Dans l’affaire Plama, l’investisseur souhaitait présenter ses demandes devant un tribunal du CIRDI, et essaya pour ce faire de se fonder sur les dispositions du traité bilatéral d’investissement conclu entre la Bulgarie et la Finlande. Le tribunal a cependant rejeté les arguments de l’investisseur, considérant que le fait de remplacer une procédure spécifiquement négociée par les Etats-parties au traité avec un mécanisme entièrement différent était trop éloigné de l’esprit des clauses NPF, dans les termes suivants :


"It is one thing to add to the treatment provided in one treaty more favourable treatment provided in another elsewhere. It is quite another thing to replace a procedure specifically negotiated by parties with an entirely different mechanism."[21]


Certains Etats ont réagi par la suite en limitant expressément la portée de leurs clauses NPF, notamment en excluant expressément le règlement des différends du champs d’application de ces clauses dans les traités récents, en concluant des accords sans clause NPF, ou encore – c’est le cas des Etats-Unis par exemple – en mentionnant durant les négociations de ces traités que les clauses NPF ne seront pas applicables aux dispositions de règlement des différends.


Finalement, le fait que les tribunaux arbitraux se tournent vers une solution qui place en limite l’intention des Etats-parties, telle qu’elle est exprimée dans le traité bilatéral d’investissement, démontre que ces derniers gardent à l’esprit le rôle fondamental du consentement des Etats parties.


Ainsi, si le consentement au forum peut être importé au travers d’une clause NPF qui serait appliquée à une clause de règlement des différends provenant d’un traité conclu avec un Etat tiers, ce n’est que sur la base qu’un consentement rien de moins qu’incontestable, car expressément inscrit dans le traité initial, et contrôlé par un tribunal arbitral.


Reste encore à savoir s’il est objectivement possible pour un tribunal de déterminer si une clause de règlement des différends prévoyant un certain forum d’arbitrage est plus favorable qu’une clause de règlement des différends ne le prévoyant pas, et ce d’autant plus lorsqu’elle en prévoit d’autres.


De surcroit, même dans les cas où le tribunal considérera la clause NPF du traité initial comme applicable et couvrant les dispositions de règlement des différends, d’autres conditions devront être remplies tel l’établissement par l’investisseur du caractère moins favorable du traitement qui lui est accordé sous ce traité en comparaison avec un traité conclu avec un Etat tiers.


B. Le caractère plus favorable d’une procédure plutôt qu’une autre


Les clauses NPF permettent à un investisseur de se voir accorder par un État un traitement « non moins favorable » que le traitement accordé par cet Etat à des ressortissants d’un Etat tiers :


Article 5. Most-favoured-nation treatment

Most-favoured-nation treatment is treatment accorded by the granting State to the beneficiary State, or to persons or things in a determined relationship with that State, not less favourable than treatment extended by the granting State to a third State or to persons or things in the same relationship with that third State.[22]


Pour pouvoir établir qu’un traitement est moins favorable qu’un autre, les tribunaux considèrent que l’investisseur doit nécessairement comparer deux situations dont l’une est objectivement plus favorable. Il ne s’agit pas ici d’établir une simple différence de traitement. En effet, le requérant ne pourra en aucun cas importer un traitement différent qui ne serait pas plus favorable.


Mais favorable à qui ? C’est là que s’impose le caractère objectivement moins favorable du traitement imposé à l’investisseur. La clause NPF n’a pas pour but de permettre une pratique du « treaty-shopping » au gré des avantages tirés par les investisseurs étrangers, c’est pourquoi les tribunaux ont toujours tâché de déterminer objectivement le caractère plus ou moins favorable d’un traitement en application d’un traité, comparé à un traitement contenu dans un autre traité.


L’idée alléchante fut donc d’offrir aux investisseurs l’application de la procédure qui leur serait la plus favorable parmi toutes celles consenties par leur Etat d’accueil. Cependant, se présente la difficile tâche de déterminer quel traitement est moins favorable de manière objective, et ce particulièrement dans le cadre de la question de l’application de la clause pour importer et remplacer une forme de règlement des différends par une autre.


Car peut-on réellement comparer des droits procéduraux ? Une procédure devant un forum est-elle objectivement plus favorable qu’une procédure devant un autre forum ?

Reprenons l’exemple donné dans l’excellent Rapport final du Groupe d’étude des Nations Unies sur la clause de la nation la plus favorisée :


Si le traité de base stipule une période d’attente de dix-huit mois et si le traité avec un Etat tiers ne comporte pas cette obligation mais contient une formule d’option irrévocable, est-il exact de dire que le traité avec un Etat tiers accorde un traitement plus favorable ? Dans un cas, dans le traité de base, il y a une période d’attente de dix-huit mois avant d’invoquer les dispositions relatives au règlement des différends du traité bilatéral d’investissement, mais l’investisseur a accès aux procédures tant interne qu’internationale. Dans l’autre cas, en vertu du traité avec un Etat tiers, l’investisseur a accès au règlement international plus rapidement mais perd la faculté de recourir à la fois au règlement international et au règlement interne du différend. Lequel de ces deux traitements est le plus favorable ?[23]


Cependant, dans certains cas il reste possible d’établir une telle distinction objective quant au traitement, même procédural. Ce fut le cas pour le tribunal dans l’affaire Garanti Koza précitée, dans laquelle le tribunal a considéré que le choix offert à l’investisseur dans la clause qu’il souhaitait importer, valait mieux que l’absence de choix de la clause du traité initialement applicable.


Ces questionnements ouvrent une toute nouvelle dimension dans le système actuel d’arbitrage d’investissement, en ce que les clauses NPF offriraient potentiellement aux investisseurs un accès « unilatéral » à une juridiction arbitrale sur le fondement d’un traité qui ne leur est pas applicable de prime abord.

IV. Conclusion

L’application des clauses NPF aux dispositions relatives au règlement des différends entre Etats et investisseurs reste encore une question controversée tant par les tribunaux que par la doctrine. L’une des raisons de cette disparité d’opinions pourrait tenir à la nature même du mécanisme de règlement des différends entre Etats et investisseurs. Ce mécanisme est essentiellement fondé sur un réseau de traités bilatéraux de protection des investissements contenant le plus souvent le même type de dispositions, mais présentant une rédaction variable.


De ce fait, en les interprétant au cas par cas les tribunaux tirent des conclusions distinctes.[24] Ces divergences d’interprétation ont un impact non négligeable sur la controverse et la difficulté de dessiner des traits communs guidant l’analyse de l’applicabilité des clauses NPF. L’incertitude est donc maintenue à l’égard tant des investisseurs que des Etats qui auraient accepté d’insérer ce type de clause dans leurs traités.


Or, le système actuel de règlement des différends par l’arbitrage d’investissement et le réseau de traités bilatéraux qui le fonde sont fortement et de plus en plus critiqués, tant par la société civile que par les Etats contractants eux-mêmes – qui dénoncent leurs traités avec une certaine virulence depuis plusieurs années. En effet, à force d’interprétation extensive de traités au-delà de l’intention des Etats contractants, et notamment au sujet des clauses NPF, de nombreux Etats ont décidé de s’affranchir du mécanisme de règlement des différends Etat-investisseur, certains en dénonçant la Convention de Washington, d’autres en dénonçant leurs traités bilatéraux d’investissement.[25] Parmi la doctrine, certains déplorent qu’il soit devenu de rigueur pour un Etat de contester et d’entraver les procédures d’arbitrages, faisant même état d’une « résistance » à l’arbitrage entre investisseurs et

États.[26]


Dans le contexte précis des clauses de la Nation la Plus Favorisée, en ce qu’elles peuvent avoir pour effet de moduler le consentement des Etats à l’arbitrage, ces dernières relancent et approvisionnent ces critiques du système, jusqu’à être considérée comme un véritable « Cheval de Troie » au sein du traité :


« The question becomes relevant when determining which provisions of the basic BIT can be replaced through the MFN clause, in the case of the dispute settlement provisions, but also more generally for all the provisions of the BIT. Having to resolve this problem, arbitral tribunals are thus actually confronted with the fundamentally destabilising effect, for the overall equilibrium of the treaty, of the inclusion of the MFN clause within BITs. In relation to the latter, the clause can thus be viewed as a ‘Trojan Horse’. The paradox of the ‘Trojan Horse’ is that it was brought into the city by the inhabitants themselves, just as the MFN clause is introduced by the contracting states within the BIT. »[27]


Les raisons que nous avons évoquées font craindre à de nombreux acteurs qu’en l’absence de consensus de la part des tribunaux arbitraux vers une solution plus rassurante à l’égard des Etats, les critiques continueront à pleuvoir sur le système, voire mèneront à la modification ou au retrait progressif des traités bilatéraux d’investissement contenant ce type de clause.


Cependant, ces critiques contre les abus d’interprétation de la clause NPF au regard du consentement sont à adoucir. En effet, le consentement semble garder sa place centrale dans les sentences récentes Plama et Salini, qui font de l’intention des parties un véritable « garde-fou ».


Selon ces tribunaux, l’intention exprimée par les parties – dans un sens inclusif ou exclusif – semble être le seul moyen dont dispose le tribunal arbitral pour renverser la présomption que les dispositions relatives au règlement des différends n’entrent pas dans le champ d’application de la clause NPF. Si les tribunaux poursuivaient sur cette lancée, les Etats devraient voir leurs craintes d’une interprétation trop extensive de ces clauses considérablement réduites.

[1] CHRISTER SÖDERLUND, Most Favoured Nation (MFN) Clauses in Bilateral Investment Treaties, p. 1121. [2] OCDE (2004), Most-Favoured-Nation Treatment in International Investment Law, Working Papers on International Investment, 2004/02, OECD Publishing, pp. 10-11. [3] Réclamation Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), 2 mars 1956. [4] Réclamation Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), 2 mars 1956. [5] Maffezini c. Espagne, Sentence sur la Compétence, 25 Janvier 2000, ¶ 54. [6] CHRISTOPH SCHREUER, Consent to Arbitration, 27 février 2007, p. 24. [7] Annexe, Rapport final du Groupe d’étude sur la clause de la nation la plus favorisée, 2015, ¶ 95. 32 Siemens A.G. c. Argentine, Affaire CIRDI No. ARB/02/8, Sentence sur la Compétence, ¶ 102. [8] Plama Consortium Limited c. Bulgarie, Affaire CIRDI No. ARB/03/24, Sentence sur la Compétence, 8 février 2005, ¶ 212. [9] Telenor Mobile Communications A.S. c. Hongrie, Affaire CIRDI No. ARB/04/15, Sentence, 13 septembre 2006. [10] EDUARDO ZULETA JARAMILLO, ANDREA SALDARRIAGA, et al., Treaty Planning: Current Trends in international Investment Disputes that Impact Foreign Investment Decisions and Treaty Drafting, p. 1209. [11] EDUARDO ZULETA JARAMILLO, ANDREA SALDARRIAGA, et al., Treaty Planning: Current Trends in international Investment Disputes that Impact Foreign Investment Decisions and Treaty Drafting, p. 1209 ; Maffezini c. Espagne, Sentence sur la Compétence, 25 Janvier 2000, ¶ 63 : « a distinction has to be made between the legitimate extension of rights and benefits by means of the operation of the clause, on the one hand, and disruptive treaty-shopping that would play havoc with the policy objectives of underlying specific treaty provisions, on the other hand ». [12] Plama Consortium Limited c. Bulgarie, Affaire CIRDI n° ARB/03/24, Décision sur la Compétence, 8 février 2005, ¶ 223. [13] Salini Costruttori S.p.A. et Italstrade S.p.A. c. Jordanie, Affaire CIRDI No. ARB/02/13, Sentence sur la Compétence, 9 novembre 2004, ¶ 115. [14] NOLDE, Les effets de la clause de la nation la plus favorisée en matière de commerce et de navigation (Rapport), Annuaire de l’Institut de Droit international, 1934, p. 430. [15] STEPHEN FIETTA, Most Favoured Nation Treatment And Dispute Resolution Under Bilateral Investment Treaties: A Turning Point?. [16] Plama Consortium Limited c. Bulgarie, Affaire CIRDI No. ARB/03/24, Décision sur la Compétence, 8 février 2005, ¶ 204. [17] Plama Consortium Limited c. Bulgarie, Affaire CIRDI No. ARB/03/24, Décision sur la Compétence, 8 février 2005, ¶ 223. [18] SCHREUER, Consent to Arbitration, p. 28 (librement traduit). [19] Garanti Koza LLP c. Turkmenistan, Opinion dissidente de Laurence Boisson de Chazournes contre la Décision sur les Objections à la Compétence, 3 juillet 2013. [20] Daimler Financial Services AG c. Argentine, Affaire CIRDI No. No. ARB/05/1, Sentence, 22 août 2012, ¶ 200. [21] Plama Consortium Limited c. Bulgarie, Affaire CIRDI No. ARB/03/24, Sentence sur la Compétence, 8 février 2005. [22] Nations Unies, Draft MFN Articles, Article 5 et commentaire n° 5 (soulignement ajouté). [23] Annexe, Rapport final du Groupe d’étude sur la clause de la nation la plus favorisée, 2015, ¶ 137. [24] IISD, Best Practices Series: The Most-Favoured-Nation Clause in Investment Treaties, février 2017 : « In short, jurisprudence on the importing of procedural clauses through MFN is, at the very least, incoherent ». [25] ERIC DE BRABANDERE, Importing Consent to ICSID Arbitration ? A Critical Appraisal of Garanti Koza v.Turkmenistan, Investment Treaty News. [26] VERNON CASSIN, ‘Investment Arbitration Is Now On Broadway, And The Critics Are Not Being Kind’, 23 Janvier 2015 ; CAROLINE SIMSON, Investment Arbitration Will Continue Evolving, Blackaby Says, 28 mars 2017. [27] YANNICK RADI, The Application of the Most-Favoured-Nation Clause to the Dispute Settlement Provisions of Bilateral Investment Treaties: Domesticating the ‘Trojan Horse’, European Journal of International Law, Volume 18, N° 4, 1er septembre 2007, pp. 757-774.

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